Romeo s’est construit tout seul, sans aide ou presque ; il a ramassé ce qu’il pouvait trouver, et tout ce que l’on n’a pas voulu lui donner, il l’a pris quand même, par la ruse ou par la force. Et il est plutôt fier du résultat – il s’aime bien, Romeo, aussi imparfait qu’il soit, il s’aime bien alors il fait ce qu’il faut pour continuer d’exister, aussi librement qu’il le peut, aussi librement que lui permettent ses attaches (et si elles ne sont pas bien nombreuses, elles compensent par leur solidité). Il cache toutes ses émotions derrière un sourire insolent, ne fait preuve d’aucun sérieux parce que cela lui prendrait trop la tête, cela lui demanderait trop d’efforts, et il ne sait pas trop ce qu’il découvrirait s’il creusait plus loin que l’amusement un peu railleur alors il ne va pas chercher ; c’est mieux comme ça. Romeo est un dragueur qui a commis l’erreur de tomber amoureux de la vie, et parfois il n’est pas sûr que cela soit réciproque, parce qu’elle lui en fait voir de toutes les couleurs, mais ce n’est pas grave : il aime les arc-en-ciel (et puis de toute façon, il s’en sort toujours).

( fait l’idiot, tout le temps, même quand la situation demande du sérieux. surtout quand la situation demande du sérieux. semble se moquer du monde entier. se vernit les ongles en rose vif, parce que ça lui va bien et que c’est sa couleur préférée. signe les documents officiels avec un stylo à paillettes. a toujours un élastique à cheveux sur lui. flirte avec tout le monde, depuis son patron jusqu’à la grand-mère dans la file d’attente du supermarché. s’est déjà fait casser la gueule parce qu’un type n’a pas trop apprécié qu’il le drague, et ça l’a fait rire malgré son nez pété. fait des origamis avec n’importe quel papier qui lui tombe sous la main quand il s’ennuie. est devenu plutôt doué, à force. très habile avec les armes à feux. se débrouille avec les armes blanches. lit beaucoup, dans son temps libre, un peu de tout. porte des lunettes pour lire, d’ailleurs. william shakespeare est l’un de ses auteurs préférés. possède un aquarium rempli de poissons aux formes et couleurs variées. aime beaucoup les regarder nager. pas très grand et plutôt mince, mais tient étonnamment bien l’alcool. porte tout un tas de bracelets multicolores. ne fait confiance à personne, à l’exception peut-être de son frère. n’apprécie pas spécialement la violence, mais n’hésite pas à y avoir recours pour protéger ce qui compte pour lui. aime l’argent mais ne sait pas le garder. se fait passer pour plus con qu’il ne l’est, ça lui simplifie la vie. bon joueur d’échecs, bien qu’il pratique rarement ces temps-ci. des élans d’altruisme, parfois. mais dans une situation risquée, c’est toujours son instinct de survie qui finit par prendre le dessus, à une seule exception : s’il s’agit de son frère. )

Pile ou face ?
(souriant) Je vous laisse choisir.

Quel est votre signe astrologique ?
Gémeaux.

Plutôt Parti Républicain ou Démocrate ?
Ni l'un ni l'autre.

Pensez- vous que le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito ?
Je ne me pose pas vraiment la question.

Croyez-vous aux soucoupes volantes, aux projections astrales, à la télépathie, aux pouvoirs parapsychiques, à la voyance, à la chasse aux fantômes, à la télékinésie, à la transe médiumnique, au monstre du Loch Ness et à la théorie de l'Atlantide ?
J'y croirais si j'en vois des preuves. Pour l'instant, non.

Ah et j'oubliais : la réincarnation, ça vous parle ? Êtes-vous persuadé(e) d'avoir été un philosophe barbu et barbant dans une vie antérieure ?
Peu importe. C'est cette vie qui compte.

Romeo n’a pas toujours été Romeo. Dans une vie différente, on l’appelait Jay – un diminutif de Jason. Mais au fond, est-ce que ça compte réellement ? Ce n’est qu’un nom, une étiquette. Cela ne change rien à qui il est.

Il est né dans l’un des quartiers les plus pauvres et mal famés de Chicago, d’un père inconnu et d’une mère prostituée qui s’est tirée l’été de ses douze ans. Un jour, elle était là, le lendemain elle avait disparu et ses affaires avec. Au début, Jay l’a attendue. Ça n’était pas la première fois qu’elle se barrait sans prévenir pour réapparaître quelques jours plus tard, la bouche en cœur, comme si de rien n’était. Cette fois, pourtant, elle n’est jamais revenue. Au bout d’une semaine, Jay a commencé à se poser des questions. Au bout d’un mois, il s’est plus ou moins fait à l’idée qu’elle était partie pour de bon. Elle les avait abandonnés tous les deux. Peu importe, du moment qu’il avait Gabriel.

C’est lui, après le départ de leur mère, qui a pris sa place. C’est lui qui s’est occupé de Jay quand elle n’était plus là pour le faire, veillant à ce qu’il ne manque de rien, à ce que personne ne lui fasse de mal. Et Jay a voulu lui rendre tout cela. Ainsi, à seize ans, il commença à traîner dans des affaires un peu louches. Deal, vol à l’étalage, etc. Au début, ça ne lui rapportait pas grand-chose, tout juste un peu d’argent de poche, mais il avait l’espoir avec le temps de vivre un peu mieux et surtout, de permettre à son frère de se reposer. Il aurait dû se douter que cela ne pouvait que mal finir.

Jay échappait pour l’instant au danger, cependant, qu’il s’agisse des flics ou d’un des gangs du coin. Était-ce par hasard ? Ou bien savait-il se montrer un peu plus futé, un peu plus habile que ses adversaires ? Un peu des deux, peut-être. Toujours est-il qu’il réussit à éviter les ennuis jusqu’à un fameux soir de mai 2016 où le destin lui joua un tour en le conduisant droit dans la gueule du loup. Les menottes aux poignets, on lui proposa un accord : éviter la prison et en échange, donner des informations à la police. C’était risqué – la mafia italienne n’était pas exactement connue pour son indulgence envers ceux qui les trahissaient – mais il n’avait pas vraiment le choix.

Alors Jay dit oui.

Presque quatre ans. C’est le temps qu’il passa à servir d’agent double. Il avait fini par devenir à l’aise avec le mensonge, se forgeant une attitude de clown qui lui évitait tout soupçon car personne n’aurait soupçonné un idiot pareil d’être un traître. Il n’était pas assez intelligent pour ça, pas vrai ? C’était un mécanisme bien rodé qui aurait pu fonctionner encore pendant oh, une éternité. Mais non. Jay n’a jamais appris comment, si c’était une erreur de sa part, ou si quelqu’un avait vendu la mèche – mais qui ? Il n’avait confié son secret à personne, en dehors de son frère. Tout ce qu’il sait, c’est qu’un jour, le pot aux roses a fini par être découvert. Et jouer au con n’allait pas suffire à le sortir d’affaire, cette fois.

Ce jour-là, la mort n’est pas passée loin, et sans l’intervention fort bienvenue de quelques uns de ses amis en uniforme, Jay aurait fini bien tristement, descendu sans procès ni même une chance de se défendre. La chance lui a encore souri, pourtant, et c’est en laissant ses collègues s'entre-tuer qu’il s’est enfui comme un lâche. Il n’avait qu’une idée en tête : retrouver son frère et partir avec lui, le plus loin possible. Rester, après tout, eut été purement suicidaire.

Il finit par retrouver Gabriel, mais pas là où il l’aurait souhaité. Lui qui l’avait toujours protégé, qui avait sacrifié sa jeunesse pour l’élever à la place de parents absents, reposait à présent dans un lit d’hôpital, quelque part entre la vie et la mort, et c’était de sa faute. Un accident de voiture avait failli lui coûter la vie. Accident. Ha. Jay ne croyait pas une seconde au caractère accidentel de la collision qui avait détruit la bagnole et la santé de son frère. Il ne faisait aucun doute à ses yeux que ses anciens patrons, en apprenant sa trahison, avaient décidé de se débarrasser non seulement de lui mais également de sa famille en représailles. Et ils avaient presque réussi. Quitter la ville, soudain, ne lui paraissait plus suffisant. Il fallait se faire oublier totalement. Jason et Gabriel Delaney devaient disparaître ici et maintenant, s’ils voulaient avoir une chance de s’en sortir.

La quasi-totalité de l’argent si péniblement mis de côté au fil des années passa dans la mise en œuvre de son plan de survie, qui consistait en trois étapes simples. D’abord, laisser supposer à la mafia qu’ils étaient morts en lançant des rumeurs à ce sujet. Ensuite, leur obtenir de nouvelles identités qui tiennent la route (c’est ce qui lui coûta le plus cher). Et enfin, le plus important : se tirer loin de Chicago, quelque part où personne ne les connaissait. Ensuite, seulement, il pourrait se permettre de respirer ; de prendre conscience de l’état dans lequel se trouvait son frère, et, peut-être, de pleurer. Juste un peu.

C’est comme ça qu’il y a quelques mois de ça, Romeo d’Ambrosio met les pieds pour la première fois à Vegas, accompagnant son frère Cyan d’Ambrosio qui vient de se faire transférer à sa demande dans un hôpital de la ville. Ses voisins décrivent Romeo comme un « jeune homme charmant qui n’a pas la langue dans sa poche ». Les petites vielles du quartier, surtout, l’adorent car il les écoutent toujours radoter. Perpétuel sourire aux lèvres, il propose ses services un peu partout, accepte littéralement n’importe quel boulot qu’on lui file du moment qu’il y a de l’argent à la clé et que ce n’est pas trop illégal. Vous avez peut-être entendu son nom, qui sait ? Le bouche à oreilles fait des merveilles, et depuis quelques semaines, il se serait déniché un job de barman dans un nightclub. À croire que ce gamin sait absolument tout faire – ou du moins, faire semblant.