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 Ada Zheng — Myrmex

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LVL
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The Good Place
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Ada Zheng

Messages : 88
Karma : 25
Âge : None of your business
Emploi : Galériste · Mécène · Esthète · Main invisible
Quartier de domicile : Paradise — Karneval Casino
Alignement : Chaotique Neutre
Citation : I've come to talk with you again.

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Ada Zheng
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Galériste · Mécène · Esthète · Main invisible
Paradise — Karneval Casino
Chaotique Neutre
I've come to talk with you again.
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Ada Zheng
Mer 13 Mar - 22:36

Ada Zheng
Give me my robe, put on my crown; I have Immortal longings in me.

Cultivée
Sophistiquée
Extravagante
Sociable
Atrabilaire
Cynique
Duplice
Convoiteuse
Ada « Lóngwáng » Zheng
FATAL ERROR SYSTEM
31 octobre 19XX
Singapour
Sino-Américaine
Galériste · Esthète · Poseuse de salon · Créature de la nuit
Las Vegas, Paradise — Karneval Casino
Chaotique Neutre
Myrmex
Yuuko Ichihara — XXXHolic
Life of Brian
There's no Messiah in here. There's a mess all right, but no Messiah.

Toutes les lettres d’amour sont ridicules.

Entre ses doigts le papier jauni menace de s’effriter. Par la baie vitrée, elle regarde, suspendue dans le vide, la vie grouillante, débordante, insectes pullulants, jamais rassasiés, innombrables individualités semblables, semi-âmes enfermées dans des corps mécaniques, cancrelats dévoreurs, cannibales civilisés d’un empire décadent, reproducteurs stériles, petits dieux sans panthéon. L’interrogation revient, obsédante : Et après nous ? La réponse s’attarde en chemin. Bientôt, elle comprend qu’elle n’arrivera jamais. Son reflet pâle n’en sait rien non plus. Elle ferme les yeux et commence son décompte en imaginant qu’une comète solitaire pénètre à l’instant l’atmosphère. À dix, elle s’offre tout entière à la joie comme l’enfant, comme l’ignorant, comme le sauvage de la nature. À l’horizon du neuf, les premiers nuages noirs se profilent. Au huit, la pluie transforme la terre en bourbe. Sept langues dans sept bouches se tourne vers le ciel. Le six vient annoncer la fin de l’innocence. Cinq chemins tracés, aussitôt effacés. À quatre, le temps est compté, décompté, recompté. À trois, il n’a déjà plus de sens. Deux corps s’enlacent furieusement en attendant la fin. Au premier coup porté à la poitrine, le sang coule et ils comprennent enfin que c’est en cela que réside la vie. À présent, le temps du zéro est dépassé et rien n’est venu. Elle s’éloigne de la fenêtre, soulagée, tellement soulagée et, après tout, un peu désappointée.

Mais elles ne seraient pas des lettres d’amour si elles n’étaient pas ridicules.

L’encre presque effacée rendra bientôt toute lecture impossible. Dans la chambre vide, le mystère demeure intact. Il y a la vie, certes. La Vie, même. Et l’art, jusqu’à ce que la mort nous sépare. Et c’est tout. Et c’est rien. Elle préfère trouver la véritable beauté dans la laideur. Car il y a dans la grâce fulgurante une intolérable fugacité. Face au miroir, elle repousse d’un revers dédaigneux l’angoisse de la dégénérescence, de la vieillesse naufrage, du corps repoussant, impuissant, décomposé, mort parmi les morts. Allons, parlons-en de cette grande faucheuse. Quand, par la fenêtre, viendras-tu te glisser dans son intimité ? L’angoisse de mourir, c’est aussi l’angoisse de vivre. Elle ne sait plus qui du temps ou d’elle-même court après l’autre. En attendant, elle comble le vide de l’existence par l’opulence du luxe. Elle désire tout ce qui ne lui appartient pas. Tout ce qui ne pourra jamais lui appartenir. Malgré son inconstance apparente, elle contrôle son petit monde matériel avec une extrême précision. Ses possessions, elle ne les laisse jamais en pâture à l’entropie, à la décadence, au chaos. Elle s’abandonne, en revanche, bien gaiement à tous ces fauves, succombe à tous leurs vices, se délecte de toutes leurs conséquences fâcheuses. Il n’y a rien qu’elle puisse faire. Il n’y a rien qu’elle veuille faire. N’en déplaise aux gens de bonnes mœurs, elle se complet loin des vertus surfaites et de leurs chiens de garde zélés, ces directeurs de conscience sans profondeur. La vie est une tempête et nous n’avons d’autres choix que de voguer. Comme elle, comprenons qu’il ne nous reste qu’à apprécier le goût du sel.

Moi aussi ! Moi aussi, j'ai écrit, en mon temps, des lettres d'amour, comme les autres, ridicules.

Entre les lignes se dessine la plus grande histoire d’amour manquée de tous les temps. Elle se souvient de l’époque où l’on se damnait ne serait-ce que pour se jeter à ses pieds. Et tous les discours et tous les poèmes étaient de sublimes lamentations. Elle se souvient des tourments qu’elle infligeait en nombre. Elle était l’amante ultime, objet de désir et de convoitise. Quel bonheur de n’être jamais sujet ! Quelle douce agonie de ne devoir exister que pour autrui ! Dormir sans conscience ! Dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde. C’est fini à présent. C’est à son tour d’être tenaillée par le grand supplice de l’existence. Que faire de ce corps pâle et longiligne, de cette sensualité assassine, de ces attraits corrosifs ? Que faire quand la vacuité devient votre seul horizon macabre ? Désormais, elle noie sa peine dans une bile noire aux relents de mélancolie. Parfois, elle voudrait revenir au temps où la vie n’était qu’une fête, mais il lui semble qu’un million d’année a passé depuis. De tous les malheurs exquis, l’amour est définitivement le plus fatal.

Les lettres d'amour, s’il y a amour, se doivent d’être ridicules.

La calligraphie hésitante laisse deviner la main tremblante d’une flamme aujourd’hui éteinte. Elle invite tous les corbeaux à sa table car seuls les traitres sont dignes d’intérêt. À quoi bon abandonner sa confiance à autrui et prendre le risque d’être trahie quand on peut livrer directement sa carcasse aux charognards. Elle ne se fait plus d’illusion. La douleur prévisible est bien plus tolérable. Un jour, elle finit même par rendre insensible. Il faut croire qu’à force de côtoyer les monstres, on finit par en devenir un. Malgré tout, acculée au bord du précipice, elle se rit de l’abîme. Et c’est dans cet humour noir qu’elle retrouve la force vitale. En ne se laissant pas sombrer, elle cicatrise. Et de nouvelles fleurs du mal jaillissent de son squelette. Elle est la morte joyeuse. Celle qui n’aura jamais de cesse de tournoyer, d’égayer, d’attiser. Elle est le grotesque, le baroque, le burlesque, l’excentrique enragée. Dans une spirale infinie où les couleurs se confondent avec les sons, elle s’amuse jusqu’à en perdre la raison. Jouons ! Si rien n’a de sens, il faut au moins jouir de l’absence.

Mais après tout, il n’y a que les créatures qui n’ont jamais écrit des lettres d’amour qui sont ridicules.

Ce morceau de papier, elle a maintes fois pensé à le brûler, en vain. Elle aime comme elle déteste, avec passion. Certains diront que son ardeur est théâtrale, que son honnêteté est, aux mieux, affectation et qu’il y a dans ses démonstrations de sensibilité, une impression de bouffonnerie. Ceux-là n’auront rien compris à son essence. Elle est faite de la même étoffe que l’espoir. Et tout comme lui, le silence des espaces infinis l’effraie. Alors, il lui faut vivre intensément ou ne pas vivre du tout.

Ridicules.

Certains jours, des mots ont plus de sens que d’autres. Elle se moque bien des regards inquisiteurs, de leurs petits jugements amers. Elle parle fort quand on la voudrait effacée, rit à gorge déployée quand on implore sa pudeur, occupe l’espace quand on l’intime de se confondre avec les murs. Grande contradictrice, elle aiguise sa langue bien pendue dans des joutes verbales, élime sa cervelle contre celle d’autrui. Les esprits médiocres et ignorants ne l’intéressent guère. D’aucuns la diront élitiste et prétentieuse, mais cela lui importe peu. Ce qu’elle recherche en l’autre, c’est le défi de l’altérité, le rival à la hauteur, l’égal à affronter. Il y a dans le duel acharné, une adrénaline, un élan primordial dont elle ne pourrait se passer. Elle excelle dans le mensonge et la duperie, sans se prendre au sérieux. Son esprit redoutable se cache sous une plastique futile et une propension à rire pour rien. Et pourtant, elle désarme, transperce et achève avec une déconcertante légèreté. Puisque ses mots sont des armes redoutables, elle tutoie la cruauté, sans gêne. En revanche, son égo est tel qu’il s’adoucit à la moindre flatterie. Elle aime qu’on l’aime et c’est là sa terrible faiblesse. Elle voudrait avec ses grands yeux noirs et son petit sourire en coin séduire le monde entier, le soumettre à ses caprices jusqu’à la fin des temps. Et c’est ainsi, toute déchirée de contradictions, qu’elle passe dans la vie.

Comme j’aimerais être au temps où j’écrivais sans m’en rendre compte des lettres d’amour ridicules.

Son corps s’enfonce dans le cuir froid du fauteuil tandis que ses yeux parcourent pour la énième fois la feuille de papier. Son insolence irrite lorsqu’elle marche avec l’assurance de posséder tous les puits de pétrole du monde. Son arrogance désarçonne lorsqu’on la surprend en train de rire avec la désinvolture de celui qui détient un millier de mines d’or. Son érotisme affecte lorsqu’elle danse comme si elle cachait une rivière de diamants à la jonction de ses cuisses. N’attendez pas d’elle qu’elle baisse les yeux, elle n’est pas de la race des esclaves. Au diable la bienséance et son carcan. Le roi vaut bien le marginal. Elle vous fera peut-être un jour la leçon, jouera les rigoristes et dès le lendemain, fera preuve d’un relativisme moral à déconcerter les plus farouches nihilistes. Au choix, son inconstance vous fascinera ou vous fâchera. Et s’il vous faut à tout prix trouver votre ennemi, votre bouc émissaire compagnon du diable, elle sera celle-là, sans amertume. Sa seule esthétique, son ami cher, c’est le chaos.

La vérité c’est qu’aujourd’hui, ce sont mes souvenirs de ces lettres d’amour là, qui sont ridicules.

Le paraphe n’est plus qu’un indescriptible griffonnage sans consistance, elle seule, l’initiée, se souvient encore des noms secrets à peine murmurés. Elle hait les testaments et les tombeaux. Elle n’a que faire de toute la pitié du monde. Elle emportera avec elle l’équivalent de dix mille ans de souvenirs. Si seulement, on venait s’amasser pour écouter toutes ses terribles histoires. On viendrait sans doute des quatre coins du monde pour la tuer. Et ce serait enfin fini. Et ce serait tant mieux.

Ridicules.

Personne ne la contredira. Elle est seule. Elle repose la lettre au fond d’un ancien coffret en bois, à sa place en compagnie d’autres reliques du passé. Entre les longues sirènes mortuaires, percent les battements réguliers de la ville qui ne dort jamais. Elle comprend que la fête continue. En réalité, elle ne s’est jamais arrêtée. Cette fête-là ne connait ni hier, ni lendemain. Toutes enveloppées d’apparats éclatants, il est enfin temps d’y retourner.

The Holy Grail
Strange women lying in ponds distributing swords is no basis for a system of government.

Pile ou face ?
Pile. Quand on parle d'argent, seule la valeur compte.

Quel est votre signe astrologique ?
Scorpion, ascendant gémeaux. Petite bête à double tête.

Plutôt Parti Républicain ou Démocrate ?
Républicain. Moins de sécurité, plus de profit, c'est ça,  l'Amérique. In God we trust.

Pensez- vous que le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito ?
Elle ne croit pas en Dieu car elle ne l'a jamais vu. S'il voulait qu'elle croie en lui, sans doute viendrait-il lui parler. Alors, elle s'imagine qu'il entrerait par la porte et lui dirait : «Me voici !»

Croyez-vous aux soucoupes volantes, aux projections astrales, à la télépathie, aux pouvoirs parapsychiques, à la voyance, à la chasse aux fantômes, à la télékinésie, à la transe médiumnique, au monstre du Loch Ness et à la théorie de l'Atlantide ?
Des illuminés, elle en a croisé, oui. Des illuminants, beaucoup moins.

Ah et j'oubliais : la réincarnation, ça vous parle ? Êtes-vous persuadé(e) d'avoir été un philosophe barbu et barbant dans une vie antérieure ?
Le concept de barbe la met mal à l'aise.

The Meaning of Life
Well, that's the end of the film. Now, here's the meaning of life.

 
Noyée dans son Manhattan ambré, la cerise fait grise mine. Ada soulève le verre et analyse brièvement les nuances de couleurs qui miroitent sous la lumière artificielle. Les lèvres à peine humectées, elle s’empresse de noter mentalement : degré zéro du cocktail, selon l’échelle de médiocrité standard universelle — une mesure pour le moins personnelle, pour ne pas dire unique, elle-même en étant l’inventrice et la seule utilisatrice. En traduction, comprendre « pas mauvais ». Une notation qui fait du Karneval Casino l’établissement le moins pire de tout Vegas. Et c’est précisément pour cette raison qu’elle occupe depuis plusieurs mois la suite royale (aussi pompeusement appelée « Queen of Diamonds’ Royal Deluxe Suite »). Pour cette raison, certes, mais également pour une autre à laquelle elle ne préfère pas penser. Une raison nommée d’après un empereur romain. Quelle faute de goût impardonnable. Un homme s’empare du siège à sa droite et lui propose, sans autre forme de salutation, de lui offrir un verre.

— Non, merci, j’ai ce qu’il faut. En revanche, vous…Adam, très cher, un Martini Dry pour monsieur, sur mon compte.

Le serveur s’exécute sans attendre, à la grande surprise de l’inconnu.

— Eh bien, ce n’est pas tous les jours qu’une jolie femme m’offre un verre. Je devrais tester ma chance à une table de Blackjack. Au fait, comment vous avez deviné pour le Martini Dry ?

—Tous les hommes célibataires qui viennent dans des casinos adorent se prendre pour James Bond.

L’homme laisse échapper un rire de circonstance et lui tend la main.

— Vous m’avez bien cerné. Rob, enchanté.

— Ada.

— Charmant. Et qu’est-ce que vous faites dans la vie, Ada ?

— Je travaille dans l’art. Je vends, j’achète, je gère des artistes et des galeries à travers le monde.

— Vraiment fascinant. Je suis moi-même un grand amateur d’art, vous savez. Récemment, j’ai acquis un Keff Joons. 50 000 dollars, somme modique pour un artiste aussi côté. Mais vous connaissez, je suppose ?

Ada tente de contenir une grimace de douleur. Elle le sait, Keff Joons est à l’art, ce que Madame Soleil est à la météorologie. Une imposture.

— Malheureusement oui. Mais assez parlé d’art. Qu’est-ce que vous faites dans la vie, Rob ?

L’homme se redresse sur son siège, comme pour se donner de la contenance et retrousse légèrement les manches de sa chemise, laissant entrevoir un fragment de Rolex en or plaqué.

— Je suis producteur de films. J’arrive de L.A pour signer quelques contrats, vous voyez.

— Vous devez en avoir des histoires à raconter, dites-moi.

— Vous savez, c’est surtout les autres qui m’en racontent ! Et je ne m’en plains pas, j’aime qu’on me divertisse…et si on me fait gagner de l’argent en même temps, banco.

— Si c’est du divertissement que vous cherchez, je peux peut-être vous raconter la mienne d’histoire. Mais je ne sais pas si vous en avez vraiment le temps.

— Écoutez, chérie, j’ai toute la nuit.

— Si vous le dites. Alors, je vais vous raconter comment, voguant sur les eaux paisibles d’une existence banale, j’ai découvert que j’avais un don et pourquoi je n’en ai pas voulu.

— Un don ? Quel genre de don ?

— Je parle de magie, Rob. De magie.


 
Ada se faufile avec grâce entre la horde de déménageurs et les dizaines de caisses en bois, estampillés « fragile », ravie de constater que ses petits trésors ont passé sans encombre la douane américaine. Elle orchestre l’opération d’une main de maître, donne des instructions à droite, dirige à gauche, surveille devant, aiguille derrière. Rien n’est laissé au hasard et déjà elle entrevoie la fin de son emménagement dans cette villa chic de Spring Valley, bien en retrait, à l’abri des vieilles harpies du coin, fanatiques de chirurgie esthétique et de commérages. Dans le grand hall encore encombré, un employé attire son attention. Mauvaise nouvelle. Traversant la pièce telle une furie, elle le salue d’un regard noir.

— Jeune homme, vous savez ce que cette boîte contient ?

— Non, M’dame.

— L’héritage de vos cent prochaines générations. Alors si j’étais vous, je serais plus précautionneux.  

Le manœuvre, les yeux écarquillés, repose le paquet d’un geste craintif. Un autre déménageur, plus âgé, s’excuse platement et intime son collègue de rejoindre les camions. Satisfaite, Ada s’éclipse pour enfin profiter du calme des étages. Contrairement au rez-de-chaussée, les couloirs sont vides et l’effervescence bruyante n’est plus qu’un lointain écho. Dans la bibliothèque principale, elle observe avec contentement les rangées de livres anciens disposés dans des bibliothèques d’acajou. Sans réfléchir davantage, elle s’empare d’une superbe édition du Paradis perdu de Milton, datant de 1830. Un déclic retentit et comme dans tout bon film d’espionnage, la bibliothèque laisse apparaître une pièce secrète entièrement aménagée. Alors qu’elle pénètre dans son sanctuaire clandestin, son sourire s’efface immédiatement. Furieuse, elle dégaine son iPlum et déclenche un appel d’urgence.

— Ne fais pas l’étonné. Tu sais pourquoi je t’appelle. Où est ma Danaé ? Ne joue pas l’innocent avec moi, ça ne fonctionne pas. Je te demande encore une fois : où est mon Klimt ? Non, il n’est pas en Autriche et tu le sais très bien. Cette galerie n’existe pas, je l’ai inventée pour les registres officiels.

Elle laisse échapper un long soupire excédé.

— Très bien, tu veux jouer. Si mon tableau n’a pas repris sa place d’ici ce soir, je mets le feu à l’aile ouest. Je le fais, je te préviens. Et tu pourras dire adieu à toutes tes antiquités romaines. Bon débarras ! Adieux César ! Adieux Pompée ! J’ai toujours détesté la Rome Antique, de toutes façons ! Si, c’est vrai ! J’ai toujours préféré les Grecs !

Alors qu’à l’autre bout du téléphone, le ton monte également, elle décide de raccrocher en plein milieu d’un reproche. Elle se fiche bien de connaître ses motivations. Ce soir, elle dégustera un cognac de soixante-dix ans d’âge, bien installée dans son fauteuil, en admirant Danaé se faire engrosser par une pluie d’or ou demain ne sera pas.


 
Au volant de sa Vesla Roadster orange flambant neuve, Ada rumine. C’est l’heure de pointe dans les grandes artères de Las Vegas et elle sait qu’elle n’arrivera jamais à l’heure à cette fichue interview à l’autre bout de la ville. Si seulement cette petite peste ne lui avait pas menti. Dans son oreillette Bluetooth Ouroboros, une autre mauvaise nouvelle.

— Vous savez, Ada, que ma femme et moi, nous vous considérons comme une amie très chère. Mais vous savez également que Tootheby’s est une maison respectable et que nous ne pouvons accepter une telle vente aux enchères….

Elle lève les yeux au ciel et exécute une magnifique queue de poisson, suivie par une tempête de klaxons.

— Bien entendu, Tad. Mon client sera sans doute très peiné d’apprendre la nouvelle. Une statue néo-babylonienne dans un état de conservation remarquable, c’est tragique.

— Remarquable, en effet. Mais nous savons tous les deux que cette découverte provient d’un pillage. Depuis quelques années, le gouvernement irakien est intraitable sur la question. Si cela venait à se savoir…

— Pillage ? Comme vous y allez ! Cette pièce n’appartient même pas au Art Loss Register.

— Enfin, Ada ! Légalement, il s’agit d’un argument non-recevable. Le fait que personne ne recherche cet objet, ne veut pas dire que tout le monde peut en disposer. Il y a des lois, je regrette. Je ne peux décemment pas faire pénétrer sur le sol américain une œuvre pour qu’elle soit rachetée par votre client en toute légalité. C’est du recel.

Enfin sortie des embouteillages, Ada resserre son emprise sur le volant et écrase la pédale d’accélération.

—Très bien. N’en parlons plus, je ne souhaite pas vous mettre dans l’embarras. Mais dites-moi, comment se porte votre charmante épouse ? Elle qui était si radieuse lors de notre dernier diner.

— Ma foi, je vous remercie, elle va très bien. Elle vient de dénicher le fameux vase Qing qu’elle espérait tant.

— Formidable ! Il ira à ravir dans votre intérieur, tout près de votre Wu Wei. Mais voilà que ça me revient, après ma visite chez vous, j’ai pensé : je sais exactement ce qu’il manque à cette superbe entrée. Un bronze de la dynastie Ming. Vous n’êtes pas sans savoir que ma famille est originaire de Beijing et que mes ancêtres ont pendant longtemps été au service de la famille impériale. En échange de leurs bon et loyaux services, ils ont reçu de nombreux présents et notamment une magnifique tête de tigre, qui appartient désormais à ma collection personnelle. J’aimerais vous l’offrir en gage de notre amitié.

Un épais voile blanc vient recouvrir la conversation. Elle sourit.

— Eh bien, je ne sais que vous répondre. Une…telle générosité…Vous savez, j’ai peut-être été trop hâtif dans mon jugement tout à l’heure. Toutes ces nouvelles lois me rendent fou et j’ai tendance à voir le mal partout, c’est idiot. Quel est le prix de réserve pour cette statue néo-babylonienne ?

— 2.5 millions. De dollars.

— Très chère, je prédis que vous allez faire un heureux.  


 
— Parlez-moi de votre mère. Quelle était votre relation durant votre enfance ?

Ada relève la tête, visiblement surprise par la question. Elle dévisage quelques instants son thérapeute avant de s’enfoncer de nouveau dans le divan. Au-dessus d’elle le plafond est désespérément blanc. Une minute passe et elle ne dit toujours rien. Elle inspire.

— Pour être tout-à-fait honnête, je ne pense pas qu’on ait déjà aimé un enfant plus que moi. Je dirais même que j’ai été l’enfant-roi par excellence.

Elle s’imagine, encore, se goinfrant de chocolats. En ce monde, le chocolat est le fin mot de toute métaphysique. Mange, petite fille. Même les religions n’en savent pas plus que la confiserie. Si seulement elle pouvait encore se régaler avec autant de vérité. À présent, elle ôte l’emballage argenté et s’empresse de tout jeter par terre, comme elle a jeté sa vie. Âme errante, elle est le fantôme hanté de souvenirs. Un jour dans un restaurant en dehors du Temps et de l’Espace, on lui a servi de l’amour froid. Elle n’a pas protesté. Mais pourquoi ? Ce plat, on ne le mange pas froid et pourtant on lui a servi froid. Quelle absurdité.

— Puis du jour au lendemain, tout s’est terminé. Elle n’a plus voulu de moi. Elle a peut-être réalisé que je n’étais pas l’enfant qu’elle attendait, que je ne correspondrais jamais à son idéal. J’ai été comme projetée en dehors du paradis. Alors j’ai compris que je n’étais rien, que je ne serai jamais rien et que je ne saurai vouloir être rien.

L’enfant qu’elle était portait pourtant en elle tous les rêves du monde. Alors, sans rien attendre de plus, elle a emporté toutes ses affaires dans l’hypothèse et sa valise dans la raison.

— En avez-vous déjà discuté avec elle ?

Le plafond est blanc. Tout est si lent, si long. C’est terminé, elle ne reviendra pas.

— Non jamais. Je n’en ai pas eu le temps.

 
Adam lève un sourcil interloqué et tend l’oreille en direction des rires à l’autre bout de son comptoir.

— L’anecdote sur le maharadja de Jaipur est vraie ?

— Absolument. Tout est vrai.

— Et la deuxième stagiaire du Président Bilton ? Le projet avorté de Velon Vusk pour envoyer un vélo électrique en orbite ? Sa rivalité secrète avec Magnus Sinclair ? Et vous parlez vraiment six langues ?

— J’ai beaucoup voyagé et j’ai rencontré autant de monde.

L’homme vide son troisième Martini Dry cul sec et expire bruyamment.

— J’y crois pas ! En tout cas, laissez-moi vous dire, Ada, que vous ne faites pas votre âge.

— Mais je ne crois pas vous l’avoir précisé.

— Je dis pas ça pour froisser, qu’on soit d’accord. Vous semblez avoir vécu beaucoup d’expériences, voilà tout.

— Disons que j’ai eu la chance de vivre plusieurs vies en une seule.

— Incroyable ! Et vous ne voudriez pas en faire un film, par hasard ?

— Merci pour la proposition Rob, mais je n’aimerais pas vraiment qu’on me joue.

— Vous feriez sans doute une excellente actrice…

— Vous me flattez, mais savez dans la vie, il y a les acteurs et il y a les funambules. Ceux qui jouent et ceux qui flambent. Je connais déjà ma place et je ne l’échangerais pour rien au monde.



Pseudo : Tsutsu, Tsotso, Fraisin des Bois, Dindonneau. Âge : Celui de ton père. Comment as-tu découvert le forum ? : Non, je te dis pas, c'est un secret. Le dernier mot : Roses are red, violets are blue, you thought it was a poem but it was just gardening facts.  


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