Andreas était un gamin moyen -mais c'est comme ça que commencent tous les gens exceptionnels, vous dira-t-il. L'école n'était pas quelque chose pour lui; déjà à l'époque, il négociait un demi point en plus contre un chocolat à la cerise qui traînait dans un placard depuis des mois (parce que, soyons honnête, c'est franchement pas bon). Comme une envie de se rebeller, ailleurs qu'à l'hôtel qui lui servait de maison, au-delà des yeux lasers de ses sœurs et de la bienveillance un peu brusque de sa mère. La vérité, c'est qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait -mais il le faisait avec le menton haut et les bras croisés, comme papa, dans un costume qui collait au millimètre à sa frêle stature, alors forcément, ça devait passer.
Et puis, après cinq secondes, il soufflait avant de se plaindre et de baisser la tête face à son énième C- en mathématiques.
Andreas n'est pas forgé pour l'école -à vrai dire, il n'est pas fait pour les règles. C'est peut-être pour ça que Vegas lui colle si bien à la peau. Voyez-vous, Andreas est un type sympa. Le genre de mec à qui on indiquerait le chemin dans le métro, et qu'au final on accompagnera tout son trajet durant parce qu'il captive avec ses histoires, et aussi parce qu'il donne vraiment l'impression qu'on est important -il pose des questions, il sourit, il rigole, il vous regarde derrière ses longs cils. Andreas s'intéresse à tout. Beaucoup à rien, aussi, et il vous dira que l'un ne va pas sans l'autre en soufflant d'un air dramatique, la main sur le front. La normalité -si normalité existe, ajoutera-t-il- a dégagé depuis bien longtemps de son adn. Il dira ça en pensant à son père, qui a trouvé sa place entre deux boa de plumes, mais il aurait pu penser à sa mère, ou aux quatre semi-clones qu'il appelle soeurs (c'est qu'il les aime bien, ces créatures-là).
Andreas a toujours été heureux. C'est une chose à souligner : ça explique peut-être sa gentillesse de premier abord, et sa générosité ne cache qu'une naïveté quant à l'argent qu'il n'a pas encore réussi à corriger. Il ne sait pas apprécier le prix des choses. Luxe de ceux qui n'ont jamais manqué de rien, Andreas ose parce que même s'il perdait, ça ne serait pas si grave. Sa chance légendaire, ou alors, selon les points de vue, son talent sans précédent, est comme un pied-de-nez à d'autres qui sacrifient tout pour leurs rêves : Andreas réussit ce qu'il entreprend, même si ces histoires de gros chiffres ne tireront de lui que des soupirs.
Au final, on pourrait se dire qu'Andreas est charmant, mais pas vraiment passionnant. Ou plutôt : ennuyant dans son succès.
C'est là qu'on se mord les doigts presque jusqu'au coude.
Andreas n'était pas le vilain petit canard de la bande, non. Il était plutôt l’ornithorynque de la fratrie : de prime à bord, on ne sait pas d'où il sort. Fatigué des costumes trois pièces de Stanford, il a toujours été avant-gardiste (pour ne pas dire qu'il enchaîne les fashion faux-pas) dans ses manteaux de fausse fourrure ou ses chemises tigrées, minimalisme détonnant de couleurs et d'imprimés qui assomment la pupille. Il a toujours été heureux, mais ça ne veut pas pour autant dire que tout allait bien. Disons plutôt qu'il a sût se débrouiller pour rester satisfait, ou peut-être se convaincre qu'il l'était. Il a toujours tendrement aimé ses sœurs, et c'est sûrement ce qu'elles lui reprocheraient : cette mollesse de son cœur. Tu n'ira pas bien loin, lui disaient-elles, alors il a pris sa valise et il a visité toute l'Europe.
Là, au moins, il était parti très loin.
Andreas était heureux, et quitte à le répéter, il l'est encore plus aujourd'hui. Il ne s'est jamais autant épanouit qu'aujourd'hui : il adore fêter (n'importe quoi, vraiment) et oh, il a un talent certain pour détecter les talents des autres. Il a compris ce qu'il était -un peu tard, probablement, mais suffisamment tôt pour encore en profiter, et jamais il ne fera marche arrière.
Andreas est un esprit libre.
Il aime son casino comme un enfant qu'il aurait dû avoir il y a des années. C'est le genre d'engagement dont il n'a pas peur : le Stardust ne sera pas renié par sa mère, au moins (il rapporte de l'argent, comprenez). Ça ne l'empêche pas de susurrer des mots doux derrière de beaux cheveux soignés, taquin dans ses propositions, grandiose dans ses exécutions ; Andreas a le sens du spectacle. Chaque fois qu'il ouvre la bouche, il y a un levé de rideau, ses sourires pareils aux projecteurs qui aveuglent les acteurs -mais il n'est pas sur les planches. Il est la scène. Le dispositif. Ce qui permet à la magie de prendre place. Oh, il a fait des paris insensés, mais son instinct ne le trompe jamais, au grand jamais. Il le suivra quoi qu'il en coûte. Après tout, il a appris à se faire confiance -alors il se laisse hypnotiser par des danseuses de rue, il fond pour des chanteurs de bar, il vénère la rapidité des croupiers de son casino, il admire la beauté des femmes tigresses prête à amouracher un de ces nouveaux riches, il rêve au rythme d'un orchestre symphonique. Et il boit un peu trop, aussi, mais que serait Vegas sans un bon Martini ?
Andreas n'a pas peur. C'est sûrement l'un de ses plus grand défaut. Il lui arrive d'en oublier le monde, lorsqu'il décide de la prochaine décoration du Stardust, et il a aussi une empathie à deux vitesse : trop faible ou trop grande, jamais bien placée. Cette maladresse, qu'on ne voit qu'à proximité sentimentale, fait partie de son charme, tout comme son semblant d'invincibilité le rend si attrayant lorsqu'il n'est qu'un grand nom devant des montagnes de billets. Il ne s'en rend que trop compte. Andreas réfléchit à ce qu'il dit. Au final, peut-être aurait-il dû devenir acteur. C'est un de ces songes qui restera mystère et, quand on lui parle, on a l'impression qu'au fond, il en est totalement détaché.
Andreas est sûrement un peu trop détaché de la réalité -pas inconscient de ses actions, plutôt pas très inquiété quant aux retombées. Il est persuadé qu'il s'en sortira toujours, et ah -pour le moment, l'univers n'a fait que lui donner raison. Ça fait soupirer ses sœurs et ça le laisse de marbre. Il se laisse ballotter par des choses mi-comprises, mi-ignorées, sans vraiment se soucier de ce qui pourrait bien arriver, bien trop occupé à profiter. C'est peut-être là qu'on voit une touche de folie simpliste, celle qui permet de se soustraire à toute la pression de ce que le monde attend de nous ; celle qui le fait rire quand il le veut et qui lui fait tremper ses doritos dans du nutella. Celle qui inquiète un peu quand il menace tout le gratin people pour une soirée caritative de laquelle il ne ressortira qu'une satisfaction de bon samaritain. Andreas fait ce qu'il y a à faire. Il n'a pas très peur de se salir les mains, ni de prendre des paris insensés.
Alors voilà : Andreas est tout sauf ennuyeux -un rêveur qui n'a aucun intérêt à dormir. Il y a trop à faire, vous dira-t-il, alors il a décidé d'allumer toutes les lumières pour réveiller le monde entier.
Pile ou face ?
Face. Quoi que ! Pile. Face. Ah, vous voyez, j'avais bien dit face.
Quel est votre signe astrologique ?
Verseau, ascendant poisson, lune en capricorne.
Plutôt Parti Républicain ou Démocrate ?
De ceux qui viennent rire au Stardust.
Pensez- vous que le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito ?
Parfois il ne faut pas trop se poser de question.
Croyez-vous aux soucoupes volantes, aux projections astrales, à la télépathie, aux pouvoirs parapsychiques, à la voyance, à la chasse aux fantômes, à la télékinésie, à la transe médiumnique, au monstre du Loch Ness et à la théorie de l'Atlantide ?L'absence de preuves ne démontre pas la non-existence.
Ah et j'oubliais : la réincarnation, ça vous parle ? Êtes-vous persuadé(e) d'avoir été un philosophe barbu et barbant dans une vie antérieure ?
La barbe ne flatte pas mon visage.
Il descend légèrement ses lunettes jusqu'au bout de son nez -il y a un beau micro devant son sourire, les deux brillent de milles feux. Bonsoir ! Il a une voix de ténor, douce mais grave, avec un coffre qui résonne. Sa salutation serait digne d'un Monsieur Loyal, mais ses protégés ne sont pas des créatures étranges. Non, ce sont des trésors.
Il dévisage la foule, passe de la droite à la gauche. Il voit des choses, en oubliera beaucoup, mais s'en souviendra quand il le faudra. Son doigts vient remonter ses lunettes (elles étaient trop baissées, au final). Bienvenue à vous, mes cher.e.s. invité.e.s. Le micro quitte son piédestal, reflète la lumière des projecteurs affalés sur lui -comme des abeilles qui viennent nourrir leur reine. J'espère que vous êtes bien installés, parce que ce qu'il va suivre va mettre des étincelles dans vos yeux, je vous le promets. Quelques sourires font surface. La réputation, du Stardust et du magicien, ne sont plus vraiment à faire, mais Andreas se demande toujours comment est-ce qu'on peut mieux faire qu'auparavant. Qu'est-ce qu'on peut changer, quelle poésie on peut y mettre, quelle couleur ira le mieux à l'ambiance.
Fidelio est bleu. C'est une évidence.
Mais lui-même ? Il ne sait pas vraiment.
Il laisse sa fausse fourrure tomber à mi-épaules, comme une de ces stars du rap, les zébrures roses assorties à ses ongles. Il est tout de blanc vêtu, pour le reste, en un sobre complet, agrémenté d'une fleur de lis plantée dans sa poche de son gilet de costume. Il va la chercher du bout de ses phalanges de bronze. Parce que celui qui se produira ce soir -celui que vous attendez tous !-, ah, cet ange aux doigts de fée, n'est rien de moins qu'une étoile de montante. Je vous le dis, entre vous et moi, son ascension est si fulgurante qu'il ressemble déjà à une étoile filante. Sa main de libre s'étend pour montrer l'immensité du talent à venir, ou peut-être de son amour pour tous ceux présents, ou peut-être encore juste parce que c'est une drama queen. Il continue d'arpenter la scène, d'un bout à l'autre, à accrocher des regards derrière ses lunettes au teint fumé, finalement bien installées tout en haut de son nez. Et vous, mes chanceuses et chanceux, ce soir -oui, ce soir, ici même au Casino Stardust !-, sera votre soirée. Laissez-vous porter par la magie qui prend déjà possession de l'atmosphère, laissez l'enfant qui sommeille en vous être émerveillé par ces miracles modernes, laissez donc toutes vos pensées à l'arrière de votre cerveau. S'il vous plaît ! Un tonnerre d'applaudissements pour le merveilleux Fidelio Lucchese ! La salle devient bruyante, sous les acclamations et les chuchotements d'excitation -avant de retomber légèrement pour laisser place à l'incompréhension. Le présentateur ne s'en va pas. Il titille du bout des doigts cette fleur de lys, clair obscur saisissant contre sa peau d'ébène, l'embrasse du bout des lèvres avec une tendresse palpable dans le silence brusque qui est tombé sur la salle.
Il rigole -d'un joli ton, étrangement voluptueux, accentué par à peu près tout autour : cette lumière soudainement unique hypnotise même ceux qui pensaient ne pas tant vouloir venir, ce soir.
Il lance le lys dans la foule avec un mouvement si souple qu'on dirait qu'il dure des secondes entières ; à peine la fleur a-t-elle quitté sa peau qu'il disparaît purement et simplement, alors que le végétal explose en un milliard de paillettes. Le public réagit d'une seule voix avant de rire et d'applaudir à nouveau.
Andreas en a des frissons dans le dos.
Ah, et comme on est jeudi, le siège 48B aura droit à un bouteille de Moët. Bonne soirée ! Il parle depuis les coulisses, sans vraiment s'en faire : l'ambiance est installée et ah, il ne faut jamais renier ses instincts de générosité. Il s'installe à son tour sur une caisse de bois, non loin de la scène, pour regarder les débuts de soirée de l'italien. Il ne peut pas rester longtemps, mais il adore toujours autant admirer ses poulains. D'ici, il voit à moitié l'envers du décor -il essaie toujours de deviner comment il fait, le magicien, mais il n'arrive jamais à refaire ses tours. Il finira pas lui demander des explications, pour ensuite dire à Fidelio qu'il faudra qu'il trouve de nouveau tours pour l'impressionner. Il ne dit pas ça méchamment. C'est comme ça que Fidelio fonctionne, pense-t-il : il veut prouver les choses à ceux qu'il encense.
Enfin, au fond, il n'en sait pas grand chose, Andreas. Il croit peu, il pense beaucoup.
Il se lève après quelques minutes pour rejoindre la salle principale ; les bruits des machines à sous endorment toujours son cerveau reptilien. Il essayera de se réveiller à coups de martini (quelques uns seulement)(beaucoup trop en réalité), de beaux sourires, de potins et de rencontres aussi étincelantes que les colliers de ceux en carré VIP. Il veille au grain, chaque soir, dans son beau palais de feutre et de néons, jusqu'à ce que l'aube pointe le bout de son nez.
Le lendemain, il jurera de ne plus boire une seule goutte d'alcool, installé dans son jacuzzi au vingt-quatrième étage, une coupe de champagne à la main.
Rapport à l'Univers Bien qu’il l’ignore, Andreas est « le gardien », comprendre par là qu’il est celui qui guide et protège les brebis égarées. Très jeune, Andreas faisait déjà preuve d’une grande sensibilité vis-à-vis des démunis et des marginaux. Aujourd’hui, il continue de s’investir dans différentes causes et fait beaucoup de dons à des œuvres de charité, sans jamais s’en vanter. Il semblerait qu’il a un véritable talent pour trouver et aider les personnes dans le besoin. Même si on le lui déconseille, il ne peut s’empêcher d’agir ; c’est une sorte de pulsion incontrôlable.