Moss, c'est le genre de personne qui a toujours quelque chose sur le feu, ou plutôt, une dizaine de choses sur le feu. Partout autour de lui, on trouve du mouvement. Un détail qui intrigue souvent, c'est le fait qu'il accumule les traits de caractère qui semblent s'opposer au prime abord. Rat de bibliothèque, mais aussi sociable ; extraverti mais tout de même très secret. On s'y perd facilement, mais dans lorsqu'on commence à le connaître à un niveau intime, on comprend mieux qu'il essaie simplement de faire de son mieux, et que compte-tenu de son histoire personnelle, son comportement est assez logique. Son cercle de connaissances est relativement large et peu de gens peuvent se targuer de le détester ; le fait qu'il soit naturellement curieux aide beaucoup, sauf face à ceux qui font des cachotteries. Ces derniers trouveront sans doute que Moss est une sacrée nuisance. Côté amour, c'est pas folichon. Des occasions on lui en a donné, mais Moss a toujours trouvé des excuses pour ne pas s'aventurer sur ce terrain. Dans le fond, ce n'est pas par manque de volonté, mais plutôt par crainte de ne pas être assez présent, qu'il préfère ne pas s'engager dans une relation sérieuse. Une histoire d'amour peut devenir celle d'une vie, et sa vie, il la consacre déjà à un fantôme.

Son job, il l'aime, ce qui peut entraîner quelques déformations professionnelles. Pour peu qu'on lui fasse miroiter une info croustillante, il mord à l'hameçon, et ne lâchera pas. Moss est jeune, mais ce n'est pas par hasard s'il peut déjà se permettre un petit appartement à Las Vegas sans en ne demandant rien d'autre à ses parents qu'un petit budget alimentaire : ses papiers se vendent, et il est productif. S'il a encore à apprendre de ses aînés, il a déjà fait ses armes, et est prêt à beaucoup de choses pour obtenir un bon sujet d'écriture. Moss est du genre déterminé, et cette détermination peut l'amener à prendre des risques.

Pour le jeune homme chaque jour est différent, et c'est sans doute ce qui en fait un si grand observateur : faute d'avoir sa propre routine, il imprime celle des autres. Il lui arrive même parfois de les copier pour s'amuser, ou pour faire de nouvelles rencontres. Et puis, de l'autre côté du miroir, une fois seul et assis à son petit bureau, il y a le Moss absorbé par ses propres observations, à la fois cohérentes et un peu folles. Son esprit divague. C'est ce Moss là qui a fait tant d'emprunts à la bibliothèque, des livres aussi lourds que lui et dont le contenu ferait pâlir certains officiels. Il ne prétend pas tout comprendre à leur prose, ni même que tout soit vrai, mais espère se rapprocher d'une manière ou d'une autre d'une vérité dont il croit discerner l'esquisse, parfois, en lisant certains articles de la presse underground.

Plus tard dans la nuit, il y a le jeune homme qui déchire le fruit de plusieurs mois de recherches et dessine de mémoire ce petit chemin à la limite de Sheridan, celui qui mène à la forêt, puis au lac. C'est un parcours sinueux et accidenté, pourtant il est à peu près sûr de pouvoir encore le faire à vélo, sans même craindre la chute. L'air un peu humide lui semble presque palpable, le chant des oiseaux est comme une berceuse.

Enfin, il n'y a plus que ce grand ado un peu cryptique, angoissé par le souvenir de l'eau glacée qui lui arrive au bassin, ce miroir parfait qui ne frémit même pas, et partout, les étoiles. En nage, il se réveille au creux de son lit, et ne parvient pas à retrouver le sommeil. Devant ses yeux fatigués, le plafond lui semble bien morne, mais rassurant.

Il voudrait pouvoir déchiffrer cette réminiscence, ou ce rêve. Il voudrait ouvrir les yeux, puis les ouvrir au monde entier.

Pile ou face ?
Face. Mais j'aurais préféré un bon vieux pierre, feuille, ciseaux...

Quel est votre signe astrologique ?
Verseau ; à ce qu'il paraît, je suis vraiment tout ce qu'on attend de mon signe. C'est vrai que j'ai la bougeotte, mais le reste je ne vois pas... il n'en reste pas moins que mes horoscopes tombent souvent juste, alors... comment ça, c'est de la poudre aux yeux ? Autant de similitudes, je vous le dis, ce n'est pas le hasard.

Plutôt Parti Républicain ou Démocrate ?
Même si j'ai du mal avec les politiques en général, je dirais Démocrate. C'est ce que diraient mes parents, je suppose.

Pensez- vous que le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito ?
Mmh... tout dépend de quelle forme il a, votre « Dieu ». Si c'est un peu un chat, alors oui, peut-être. De temps en temps il se laisse caresser, mais s'il vous montre son ventre, gare à vos mains ! Le plus souvent, il fuit quiconque tente de l'approcher de trop près. Mais ça va, moi les chats m'aiment bien. Il paraît que c'est l'odeur, ou un truc comme ça. Je dois puer.

Croyez-vous aux soucoupes volantes, aux projections astrales, à la télépathie, aux pouvoirs parapsychiques, à la voyance, à la chasse aux fantômes, à la télékinésie, à la transe médiumnique, au monstre du Loch Ness et à la théorie de l'Atlantide ?
J'y crois pleinement, mais ce n'est pas quelque chose que j'irai partager avec le premier venu. Je préfère le garder pour moi et les quelques amis sceptiques qui suivent mon blog sur le paranormal...

Ah et j'oubliais : la réincarnation, ça vous parle ? Êtes-vous persuadé(e) d'avoir été un philosophe barbu et barbant dans une vie antérieure ?
J'y crois, parce que pour moi certaines choses vont en ce sens. Par exemple, je ne pense pas que les « déjà-vus » ne soient systématiquement qu'une sorte de « recyclage » qu'effectue notre esprit. Mais ça, c'est un peu une théorie personnelle...

_Son enfance, ce fut une enfance heureuse au sein d'une petite famille sans problèmes. Des parents aimants, une grande sœur à l'écoute, et un chien qui le suivait où qu'il aille, tel un ange gardien. Dans l'ensemble, il n'en a pas de grands souvenirs -mais ce n'est pas qu'il ait cherché à oublier. Simplement que cela lui semble infiniment lointain, et que les souvenirs douloureux prennent souvent le pas sur les plus joyeux. Pour lui, l'histoire digne d'attention, celle qui mérite d'être racontée, est celle qui débute à son adolescence, peu après son entrée au lycée.

_Au début de cette histoire, il y a deux gosses, deux ados. Entre eux, pas de chichis. Pacte de sang, de salive, de tout ce que tu veux, entre eux c'est à la vie, à la mort, croix de bois croix de fer, si je mens j'vais en Enfer. À vrai dire, leur ressemblance est telle qu'elle s'étend à leur physique ; pour quelqu'un qui ne les connaît pas, il est aisé de les penser frères. Leur rapprochement était presque une évidence. Ces deux ados sont entourés de beaucoup d'amis car ils possèdent ce qu'on appelle une personnalité « solaire » ; pourtant c'est seulement une fois la nuit tombée qu'ils laissent parler leur vraie nature. Car ces deux ados se sont découvert une passion un peu différente, voire étrange, diraient certains. Ils sont en effet convaincus que par-delà les étoiles, il y a de la vie, et que cette vie ne se trouve peut-être même pas si loin. Alors ils observent, forment des théories, tirent des conclusions. Ils forment leur propre jardin secret. Et finalement, c'est vraiment devenu leur truc à eux. Se rendre dans la forêt en plein milieu de la nuit, s'installer sur les bords du lac, là où la vue est dégagée, siroter une bière en jouant aux durs, compter les étoiles, se faire peur et « voir des choses », s'effondrer dans l'herbe, se perdre jusqu'à retrouver sa bicyclette, rentrer chez soi par la fenêtre, faire comme si de rien n'était.

_Cette petite routine qui était devenue la leur aurait pu durer encore longtemps, si du jour au lendemain, Daniel ne s'était pas évaporé. Daniel, c'était l'ami de Moss ; son frère de cœur. Le meilleur ami qu'il ait jamais eu, en fait. Le premier jour de sa disparition, ses parents ne l'avaient pas tout de suite signalée aux autorités, car Daniel avait pour vilaine habitude de manquer des cours, ou même de rester quelques jours chez des amis sans les tenir au courant. Du moins, c'était ce qui avait été affirmé à la police. La vérité, plus dure à regarder en face, c'était que Daniel les tenait au courant, au début, puis avait fini par arrêter. Puisqu'il n'avait pas de couvre-feu, et que son absence ne semblait pas particulièrement leur importer, pourquoi les prévenir ? Moss avait d'abord trouvé qu'il avait de la chance d'avoir autant de liberté, avant de comprendre qu'il s'agissait d'autre chose. Ce n'était qu'un détail, mais il n'avait jamais vu Daniel avec une lunchbox au repas de midi, ou même de quoi s'acheter un casse-dalle. Puis, il n'y avait pas beaucoup de stylos dans sa trousse, juste un bic, un crayon à papier, et une gomme. Pas même un taille-crayon ; Moss lui avait donné le sien.
Non, la vérité, c'était que les parents de Daniel ne s'étaient jamais souciés de lui. Et cela allait plus loin qu'une simple histoire de négligence. C'était comme si Daniel n'était pas leur fils, qu'il n'était pas du même sang. Un étranger vivant sous leur toit et grappillant, de temps à autre, dans leurs réserves personnelles. Les rares fois où Moss avait été chez eux, il n'avait jamais croisé les parents de Daniel. Celui-ci s'arrangeait toujours pour qu'ils ne soient pas présents.

_La disparition du petit Daniel Hoopner avait fini par prendre trop d'ampleur pour ne pas créer une vague d'émoi chez les habitants de Sheridan. Suites aux aveux de Moss, son ami de toujours, le lac fût dragué pendant près de deux jours ; sans succès. On rechercha dans la forêt aux alentours, à la recherche peut-être d'un vêtement, d'une chaussure, d'une empreinte... Mais rien. Bighorn était une zone bien trop large pour pouvoir être entièrement considérée, en plus d'être une zone protégée. Alors, les suppositions commencèrent à affluer en nombre ; l'esprit humain méprise ce qu'il ne comprend pas, et préfère se fabriquer des explications rationnelles. On disait de Daniel qu'il avait dû fuguer, se perdre, et peut-être tomber sur un animal sauvage. Sauf que dans les faits, rien n'avait été retrouvé de lui. Daniel s'était évaporé.

_Les pressions de la part des enquêteurs se firent plus intenses, si bien que Moss commença à se murer dans le silence en désespoir de cause. Il était persuadé d'être comme les autres. Persuadé que Daniel ne lui avait laissé aucun indice. Persuadé de ne rien savoir. Peut-être était-ce grâce à la présence d'esprit de ses parents, qui avaient voulu le préserver, et le convaincre qu'une vulgaire discussion entre adolescents un peu éméchés n'avait pas d'importance dans une affaire de disparition comme celle de Daniel. Peut-être s'était-il lui-même épargné une part de remords en reniant ce souvenir autant que possible.
L'accès à cette zone plus sauvage de la forêt avait été doublement clôturée, et le lac serait désormais surveillé de nuit. Il aurait été naturel pour Moss d'en vouloir à Daniel d'avoir disparu ainsi, et d'avoir fait de lui, par la même occasion, un coupable probable. Pourtant, ce ne fut pas le cas. La seule personne à qui Moss avait choisi d'en vouloir, c'était lui-même. Il regrettait de ne pas avoir déchiffré les intentions de son ami. De ne pas avoir vu les indices qu'il lui avait sans doute laissés. Et puis, le manque était réel. Son petit univers avait été amputé d'un membre central, et il n'y avait pas de retour en arrière. Mais plutôt que de se laisser abattre trop longtemps, le jeune homme décida de rebondir, et de poursuivre leur rêve commun, à lui et à Daniel. Ce que son ami n'avait pas eu le temps d'entreprendre, il le ferait à la place. Et qui sait, un jour, au prix d'une vie de recherches, peut-être se retrouveraient-ils.